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On se lève, on se casse et on nous écoute - Épisode 1



L’arme des mots contre les coupsdu confinement

« Les Jours» s’installent dans une unité psychologique qui accueille lesfemmes victimes de violences. La parole est à elles.


D Dans un petit immeuble cubique de briques rouges d’un étage, douze nouvelles patientes victimes de violences conjugales ont été reçues depuis le début du déconfinement, le 11 mai. Ici, c’est l’Usap, pour Unité spécialisée d’accompagnement du psychotraumatisme, une structure singulière créée par la psychologue Fatima Le Griguer-Atig en mars 2016, au cœur de l’hôpital Robert-Ballanger d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Il s’agit d’un lieu dédié aux personnes victimes de psychotraumatisme et à leur reconstruction par le suivi individuel et le travail en groupes de paroles. Et le rôle de l’Usap va être plus capital encore dans les semaines et les mois à venir : le confinement a exacerbé les violences conjugales et intrafamiliales, avec une augmentation de 44 % des interventions des forces de l’ordre par rapport à la même période l’année passée.

Si l’Usap a vocation à traiter tous types de traumatismes, dans les faits, le service accueille essentiellement des femmes victimes de violences conjugales


Depuis le début de l’année, Les Jours sont autorisés à s’installer à l’Usap en compagnie des soignants et des patientes. Ici, gratuitement, une équipe de six psychologues accompagne des femmes et des hommes qui ont subi des violences sexuelles, conjugales, des traumatismes de guerre ou liés à la migration, du harcèlement ou des agressions au travail, des deuils, des attentats, des accidents… En 2018, 562 personnes ont été reçues à l’Usap : 80% sont des femmes, dont 60 % victimes de violences conjugales.


Les locaux de l’Unité spécialisée d’accompagnement du psychotraumatisme de l’hôpital Robert-Ballanger, à Aulnay-sous-Bois — Photo Marion Péhée pour Les Jours.

Au sein de bureaux à quelques centaines de mètres du bâtiment principal de l’hôpital, Fatima Le Griguer-Atig, la coordinatrice, et l’équipe de psychologues accueillent leurs patients. Ils se rendent également dans les services pour dépister, soutenir et proposer un suivi thérapeutique. L’Usap – rattachée au pôle psychiatrie adulte de l’hôpital – est une unité fixe et mobile à la fois.

Pendant le confinement, l’Usap a dû transformer son activité : les patients étaient suivis par téléphone, mais les rendez-vous physiques étaient possibles en cas d’urgence avec toutes les protections nécessaires – masques, gestes barrières, nombre limité de personnes en salle d’attente… Ainsi que Les Jours l’ont raconté dans la série En quarantaine, l’unité a également proposé un suivi psychologique aux soignants de l’hôpital en première ligne face au coronavirus, mais aussi des séances de méditation, yoga, relaxation et sophrologie. « On a mis en place un groupe de paroles pour des internes confrontés à des décès, à des décisions qu’ils n’avaient pas l’habitude de prendre, et on va accompagner des élèves infirmiers et infirmières pour travailler sur les traumatismes dus à cette crise », explique Fatima Le Griguer-Atig. En parallèle, un suivi a été offert et l’est toujours aux patients touchés par le Covid-19, notamment en soins intensifs, ainsi qu’aux familles endeuillées.


Unique en France, le « procotole féminicide » permet la priseen charge psychologique d’enfants dont la mère a été tuée


Depuis la semaine du 11 mai, l’Usap reçoit de nouveau ses patients et patientes habituels sur place. Pendant le confinement, malgré les interventions de police en forte hausse, l’Usap a suivi moins de situations de violences conjugales et d’agressions sexuelles qu’en temps normal. Fatima Le Griguer-Atig avance : « Peut-être que certaines femmes avaient plus peur du Covid que de leur conjoint violent. » Mais depuis, la psychologue note une recrudescence de nouvelles situations d’urgences à la suite de violences conjugales. « Tout à l’heure, j’étais dans le service maternité- gynécologie pour un nouveau cas de violencesconjugales, physiques notamment. Et la semaine du 11 mai, nous avons eu au moins six nouveaux cas urgents de violences conjugales, ce qui est plus élevé qu’avant le confinement. »


La psychologue Fatima Le Griguer-Atig avec Diogo Alvez, médecin référent à l’Usap — Photo Marion Péhée pour Les Jours.

Des féminicides sont commis tous les deux jours en France et 151 femmes ont été tuées en 2019, selon le recensement effectué par le collectif Féminicides par compagnon ou ex, et ce malgré de nombreuses alertes : passages aux urgences, appels à la police ou à la gendarmerie, plaintes déposées… L’Usap est un poste d’observation clé pour comprendre ce qu’est le recueil de la parole et son importance. L’équipe tente chaque jour de sensibiliser les professionnels – personnel médical, police, justice –, pour que les femmes soient entendues quand elles appellent à l’aide. Ici, nous avons pu observer les premiers soins et entretiens avec des femmes, des moments cruciaux dans la sortie des violences intrafamiliales, sexuelles ou des situations de souffrance au travail. L’Usap travaille dans l’urgence, quand il s’agit de protéger des victimes d’un danger immédiat, mais aussi sur le long terme, en accompagnant les victimes dans le soin du psychotraumatisme. Car depuis 2018, l’Usap a été officiellement labellisée par le gouvernement « Centre national de prise en charge du psychotraumatisme » parmi dix autres lieux sur le territoire. Au sein de l’hôpital Robert-Ballanger existe également un protocole unique en France, « le protocole féminicide » : les enfants devenus orphelins ou orphelines à la suite du meurtre de leur mère sont pris encharge 24 heures sur 24 dans le service pédiatrie en lien avec la pédopsychiatrie, dans le cadre d’une ordonnance de placement de huit jours, et les proches adultes peuvent être également accompagnés par l’Usap. Depuis 2016, le dispositif a été étendu aux tentatives de féminicide : l’Usap accueille et suit des femmes victimes d’une tentative de meurtre, en compagnie de leurs enfants – nous détaillerons ce dispositif dans un prochain épisode.

J’ai une patiente qui s’est retrouvée en con nement avec son conjoint violent,elle n’avait aucun moyende subsistance. On est restées en lien téléphonique. Elle est nalement partieen hébergement d’urgence et a déposé plainte. »

Fatima Le Griguer-Atig, coordinatrice de l’Usap Malgré le confinement, les psychologues de l’Usapsont restés en contact avec tous leurs patients. Fatima Le Griguer-Atig relate quelques situations de maltraitance qui l’ont marquée : « Une dame a dû se remettre avec son mari violent pendant le confinement, elle a beaucoup pris sur elle, et est revenue nous voir à la sortie du confinement. Elle n’a pas encore de solution d’hébergement. J’ai aussi une autre patiente qui s’est retrouvée en confinement avec son conjoint violent, elle n’avait aucun moyen de subsistance. On est restées en lien téléphonique. Elle est finalement partie en hébergement d’urgence et a déposé plainte. Pour une autre patiente violentée, la peur d’emmener les enfants jusqu’à l’hôpital a été une barrière, mais elle a réussi à la franchir. » Fatima Le Griguer-Atig a transmis à toutes ses patientes les coordonnées d’huissiers de justice qui travaillaient bénévolement pendant le confinement sur les dossiers d’ordonnance de protection à distance – prise par un juge aux affaires familiales et permettant d’éloigner le conjoint violent du domicile.



L’accueil de l’Usap à l’hôpital Robert-Ballanger d’Aulnay-sous-Bois, en janvier 2020 — Photo Marion Péhée pour Les Jours.


Dans le petit bâtiment de briques face à une étendue d’herbe, Fatima Le Griguer- Atig et son équipe sont sur le pont pour accueillirlesnouveauxcommelesanciens patients. « Tout en poursuivant notre travail mis en place pendant le confinement avec des soignants, on rappelle tous les patients et patientes en reprenant chaque dossier, pour s’assurer de leur état, et on reprend les consultations. Et nous continuons desuivre avec attention les situations de violences conjugales vraiment catastrophiques qui nous arrivent des urgences. »


Dix centres

Dijon, Tours, Strasbourg, La Martinique… Dix centres tels que l’Usap existent en France. Tous ces services accueillent des personnes traumatisées et sont désormais identifiés comme tel au niveau national. Des budgets supplémentaires leur sont alloués.


Prise en charge

Ce protocole pour la prise en charge des orphelin.e.s des féminicides a été mis en place en 2014 par l’Observatoire des violences envers les femmes de la Seine- Saint-Denis en lien avec le parquet, l’hôpital Robert-Ballanger et l’Aide sociale à l’enfance (ASE).


Texte : Sophie Boutboul

Photo : Marion Péhée

Édité par : Lucile Sourdès-Cadiou

Vous pouvez consulter une version enrichie de cet article à l’adresse : https://lesjours.fr/obsessions/usap-paroles-femmes/ep1-usap-confinement/

Éditeur Les Jours est édité par la société Les Jours SAS.

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